Sous le règne des Hafsides, les caravaniers en route pour Tunis venaient puiser de l’eau pour désaltérer les hommes et abreuver les bêtes. Dans la cour se prélassaient sur des bancs de pierre, les marchands venus faire des affaires, profitant du calme de ce lieu pour boire un ‘legmi’ fraîchement récolté (le legmi est un lait de palme qui devient très vite un vin de palme pétillant et légèrement alcoolisé, pour respecter le coran il fallait le boire avant la fermentation), tout en fumant le narguilé que les arabes appellent ‘shicha’. La fraîcheur légendaire du Saf Saf était due à un peuplier trois fois centenaire, situé près de la source ; c’est cet arbre qui a donné le nom au café.
Et puis, au fil du temps, le Saf Saf fait sa toilette, de très belles mosaïques orientales sont apposées sur les murs des bâtiments, le café se structure ; le puits qui servait occasionnellement aux caravanes devient la vedette. Sous l’impulsion de son propriétaire Cheik Bahri une noria est installée ( la noria est une machine hydraulique connue des romains qui permet de remonter l’eau d’un puits ou d’une rivière). Chacun se rappelle des outres en peau de bouc qui inlassablement, déversaient leur chargement d’eau ; on a parfois remplacé les outres par des gargoulettes.
L’eau est-elle si bonne ou bien a-t-elle des vertus particulières ?
Nul ne peut l’affirmer même si le Saf Saf a donné lieu, à bien des légendes ; en fait le Saf Saf étant situé non loin de la plage l’eau est très légèrement saumâtre.
Pour rendre l’endroit enchanteur et hors du temps, on a trouvé un moyen qui date du moyen-âge et même de l’époque romaine : la noria ; pour actionner la noria on utilise une chamelle qui tourne inlassablement autour du puits, les yeux bandés par deux cônes de halfa tressée afin de ne pas attrapper le tournis, ou bien lui faire croire qu’elle suit une caravane dans le désert.
Le Saf Saf n’est pas que cela, c’est aussi un agréable restaurant à la cuisine simple et succulente, dans la plus pure tradition tunisienne.
Dans les années 50 (1950) le principe était simple, le café fournissait aux clients les boissons et des cuisiniers indépendants installaient de part et d’autre du couloir d’entrée des tables sur lesquelles ils avaient disposé des feux ; c’est là qu’ils faisaient bouillir des marmites odorantes dans lesquelles mijotait l’extraordinaire ‘ chorba’ (soupe de viandes de poulet ou d’agneau aux pâtes agrémentée de différentes épices), d’autres avaient des bassines d’huille bouillante où ils préparaient les’fteirs’ (les fameux beignets tunisiens), les briks à l’œuf ou à la pomme de terre, ou encore les bambalouni (beignets au sucre).
Certains proposaient à leurs clients des spécialités comme le ‘kaftéji’ (viandes et d’abats cuits dans l’huile accompagné de légumes frits), enfin pouvait-on aller au Saf Saf sans avoir dégusté le si fameux casse-croûte tunisien ou le non moins fameux fricassé ? Bref le Saf Saf était ce havre de bonheur qui rendaient les fins d’après-midi et les soirées d’été particulièrement agréables. Et la chamelle qui tournait.
A propos de chamelle, une anecdote savoureuse lui est définitivement attachée, la première chamelle était blanche et s’appelait Fethia, et toutes ‘ces belles tournantes’ , c’est ainsi que l’on désignait l’animal, au fil du temps se sont appelées et s’appellent encore aujourd’hui Fethia et sont toujours blanches. Si bien, que si vous revenez au Saf Saf bien des années après, il semble que rien n’a changé.
Les Beys de Tunis avaient coutume d’entrer au Saf Saf à cheval entourés de leur cour ; on abreuvait le cheval à l’eau du puits, puis on tendait une timbale d’argent au monarque ; selon une vieille légende boire l’eau du puits était pour l’homme et la bête l’assurance d’être fort et vigoureux toute l’année.
Dans la période post coloniale le Saf Saf a ajouté à ses activités, celle de cabaret où se sont produits les plus célèbres chanteurs et compositeurs tunisiens. Dans les interminables soirées de ramadan les chanteurs de malouf faisaient la joie des spectateurs.